“Je vous le dis : il faut encore porter en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez encore un chaos en vous” (Friedrich Nietzsche)
Répondre à des commandes - c'est à dire mettre ses talents créatifs au service de quelqu'un d'autre - c'est souvent plus facile. On nous demande quelque chose de précis, avec un peu de chance en adéquation avec ce qu'on a déjà pu faire. Cette prévisibilité rend les commandes également plus faciles à vendre. Quelqu'un veut quelque chose, et on lui fabrique en échange de pièces sonnantes et trébuchantes.
Créer des oeuvres personnelles, en revanche, c'est une autre paire de manche. On a certes la liberté de faire ce que l'on veut. Mais cette liberté s'accompagne d'un chaos que notre société bien ordonnée a bien du mal à s'accommoder. Créer pour soi, c'est beaucoup de tâtonnement. Il faut du repos, des errances, de la procrastination, des doutes, des échecs. En somme, il faut du temps. Et du temps qui laisse la place à l'aléatoire. On ne sait jamais quand viendra l'inspiration. On ne sait jamais quand viendra le découragement. On ne sait jamais quand viendra l'épiphanie.
Ainsi, vivre de ses créations demande de jouer à l'équilibriste entre ce que la société attends de nous pour vivre décemment (et être quelqu'un de respectable) et le questionnement existentiel incessant de la créativité.
J'aspire à un jour où je serai capable d'allier créativité et productivité, sans que ce soit une douleur à porter au quotidien. En fait, j'aspire à ce que mes activités soient de l'ordre du plaisir plus que du travail. Et je ne peux pas m'empêcher de ressentir de la culpabilité. Depuis que je suis à l'école, on me demande de travailler dur. Que seul le travail permet la réussite. Mais quelle réussite ? Pour moi la réussite c'est d'être heureux ici et maintenant, et de construire quelque chose qui a du sens pour l'avenir. Réunir la joie et le plaisir. Le plaisir de l'instant et la joie d'accomplir des choses pour moi-même et pour les autres.
Pourquoi vous partager ces réflexions ? Parce qu'à présent que je suis lancé en tant qu'auteur, je vais devoir batailler sans cesse pour faire valoir ma légitimité à créer des oeuvres personnelles. Ça ne signifie pas que je vais refuser toutes les propositions de commande, mais qu'il faudra que je fasse attention à ne pas tomber dans la facilité, à continuer à croire en mes créations même si elles ne semblent pas contenter un public ou un marché. Qu'il y aura aussi des moments où je devrais peut être, par soucis financier, accepter davantage de commande voire me faire employer. Mais je garderai toujours dans un coin de ma tête que la finalité de tout ça, c'est de revenir à ma liberté créative.
J'aimerai m'adresser à toutes celles et ceux qui ont des désirs de création et qui se restreignent parce qu'ils doivent gérer leur vie professionnelle et/ou leur vie familiale. A celles et ceux qui ont des métiers créatifs mais qui passent plus de temps à créer pour les autres que pour eux-même. Ou celles et ceux encore, qui ne se sentent pas suffisamment légitimes pour exprimer ce qu'ils ont dans le coeur. Gardez ces désirs bien précieusement. Chérissez-les. Jusqu'au jour où la vie vous laissera des opportunités de les assouvir. Soyez prêt.e.s. Je vous le dis, vous portez encore un chaos en vous.