Photographie par Aron Visuals
L’année dernière, l’association Ludinantes qui organise les parties de jeu de rôle des Utopiales a pris la décision de réduire la durée des parties à 2h. Ce changement a été décidé après avoir eu des retours des visiteureuses du festival sur la précédente édition. Avec toutes les activités et toutes les choses à voir aux Utopiales, s’engager pour une partie de 3/4h ou plus est une véritable contrainte. Après tout, même les films diffusés dans la sélection durent rarement plus de 2h. Suite à cette décision, des MJ se sont lamentés sur cette décision. Comment parvenir à faire tenir une partie sur seulement 2h quand les scénarios préparés sont souvent prévus pour les 4/5h habituels d’une séance de jdr. Il n’est pas rare de pouvoir réduire à 3h pour des parties de conventions, mais en deçà, c’est vraiment inhabituel et contraignant. Finalement un compromis a été trouvé pour passer à des séances de 2h30 au lieu de 2.
Ce que révèle cette anecdote, c’est que la durée des parties de jeu de rôle est très normée dans notre milieu. S’il l’on s’aventurait à faire un sondage sur la durée habituelle ou idéale d’une partie de jdr, on obtiendrait sans doute des résultats proches de 3 à 5h en moyenne. Le fait que les créneaux de convention soit calé sur cette fourchette va bien dans ce sens.
Mais, pourquoi c’est si long ? D’autres activités de loisir peuvent s’étendre aussi sur des heures, voire des journées entières, mais la plupart de ces activités proposent aussi des expériences courtes. Je pense notamment au jeu vidéo et au jeu de plateau, qui ont tout deux des formats allant de quelques minutes à des dizaines (voire des centaines) d’heures.
Cette longueur dans le jeu de rôle peut certainement s’expliquer par l’histoire du medium tel qu’il est le plus joué actuellement dans sa pratique traditionnelle et dont l’origine est généralement fixé à la création de D&D par Gygax et Arneson. Ce qui me semble intéressant de pointer dans l’origine de cette pratique c’est qu’elle provient du wargame. Une activité déjà marquée par ses longues heures de préparation et de parties, joué souvent par des jeunes hommes qui ont clairement du temps à consacrer à ce loisir chronophage. Non seulement les parties peuvent être longues en wargame, mais elles sont souvent organisées sous forme de campagnes qui peuvent s’étaler sur des semaines, des mois voire des années. Une première fondation temporelle qui se retrouve dans la pratique des premiers jeux de rôle traditionnels.
Implantée dans une culture occidentale, masculine, blanche, jeune et de classe moyenne, les premiers rôlistes traditionnels ont du temps à consacrer à ce loisir et cela va marquer profondément la façon de le pratiquer. Les rapports de parties abondent en week-end de jeu et en campagnes s’étalant sur des années à mesure d’une partie régulière, chaque semaine ou chaque mois.
Seule obstacle dans cet étalage temporel : les conventions. Il y a à la fois une volonté de pouvoir proposer plusieurs jeux sur les quelques jours de l’événement mais également celle d’initier de nouvelles personnes au loisir. Naît alors le format parfois appelé concrètement “le format convention”. Des scénarios adaptés pour entrer plus rapidement dans l’action, où les personnages sont pré-tirés (c’est à dire créé à l’avance, là où une création de personnage en campagne peut parfois prendre plusieurs heures voire une partie complète pour être réalisée).
Une fois avoir établi l’explication historique, on peut se demander s’il n’y pas une explication intrinsèque au jeu de rôle. Il est vrai que le rythme d’une partie de jeu de rôle est souvent très différente d’une autre activité qui inclut du jeu et/ou de la fiction. C’est d’autant plus le cas quand des combats sont engagés (typiquement dans une partie de Donjons & Dragons), où la temporalité peut être extrêmement ralentie par la gestion par tour des actions, des jets de dés et de l’ensemble des règles à maîtriser autour. Même en étant dans une pratique purement narrative, la mise en place d’une fiction et des actions des personnages n’est pas aussi immédiate que dans une fiction de roman, film, série ou d’une BD (qui sont par essence déjà écrites/réalisées à l’avance), parce qu’elle demande des échanges, de l’improvisation et de la réflexion. J’ai personnellement fait l’expérience de parties où nous ne sommes jamais sortis de la traditionnelle auberge, n’ayant ainsi même pas commencé l’aventure à proprement parlé. Ce qui ne veut pas dire que cela ne peut pas être plaisant - mais cela démontre la différence de traitement temporel avec d’autres media.
Pour toutes ces raisons, historiques, mécaniques et narratives propres au jeu de rôle, le temps semble être irrémédiablement long dans nos contrées. Pourtant, il me semble qu’il existe une façon de revoir notre façon d’envisager le temps en jeu de rôle et d’ainsi ouvrir des portes insoupçonnées et d’explorer des territoires encore trop peu explorées : celui des jeux de rôle courts.
Mais il me faut commencer par écarter quelques critiques légitimes. Réduire la durée des parties de jeu de rôle, cela peut être vu comme un appauvrissement. Et d’une certaine manière, c’est vrai, si l’on considère la pratique habituelle qui est conçue et prévue comme telle. Jouer des parties courtes, ça ne veut pas pour autant dire réduire la qualité, l’intensité et le plaisir ressenti lors d’une partie. Certes il y a certaines choses que l’on ne pourra pas obtenir, des qualités qui découlent de la pratique longue et qui pour certain-e-s est devenu indispensable : développer des personnages, explorer et découvrir les secrets d’un vaste univers, s’approprier un système de jeu complexe, harmoniser son jeu avec les autres participant-e-s à la table et éventuellement développer des amitiés, etc. Je ne pourrais pas nier ces apports. Malgré tout, je pense que les parties courtes peuvent apporter de nombreuses qualités en contrepartie. Et quand bien même elles ne vous intéresseraient pas, elles pourraient ouvrir le jeu de rôle à d’autres publics.
Les avantages des parties courtes :
Plus de facilité à faire jouer des non-rôlistes.
Moins de préparation en amont.
Plus d’accessibilité pour certaines personnes neuro-atypiques qui ont du mal à maintenir leur concentration sur la durée, notamment.
Possibilité de créer des expériences intenses et prenantes.
Possibilité de relancer une seconde partie si jamais les participant-e-s sont motivé-e-s ou de faire une autre activité de la journée/soirée.
Ouverture à davantage de publics qui ne sont pas spécialement intéressés par les qualités des formats longs et qui peuvent trouver beaucoup de plaisir à jouer au jeu de rôle dans des formats similaires à leurs autres pratiques quotidiennes (jeu de plateau, film, série…).
J’aimerai pour finir appuyer sur le fait que les parties courtes n’ont pas nécessairement à être l’apanage des conventions ou des parties pour faire découvrir le loisir. Je pense sincèrement qu’on peut y trouver un plaisir unique au même titre que des parties longues ou campagne. Le fait que ce ne soit pas une évidence vient probablement du fait qu’il y a encore trop peu de format court en jeu de rôle. Tous les exemples que j’ai trouvé sont des jeux d’initiation, des jeux pour enfant ou des jeux indés. À noter qu’il y a sans doute beaucoup de MJ qui adaptent des jeux pour proposer des formats courts - mais que ces formats sont souvent prévus pour des occasions particulières (conventions, animation…) ou pour des publics spécifiques.
Je termine en vous proposant une liste de quelques exemples de jeux spécifiquement conçus pour jouer en 2h ou moins, en espérant que ça vous donne envie de les découvrir, et pourquoi pas, de concevoir ou d’adapter vos propres jeu de rôle pour ce format qui mérite d’être exploré !
Pour la Reine et tous ses dérivés (2-6 joueureuses ou plus encore, 60min)
Run, Die, Repeat (3-5 joueureuses, gratuit)
Sombre (horrifique)
La Clé des Nuages (2 joueureuses)
Critical Fondation (2 à 5 joueureuses, 30min)
Trois fois trois minutes décisives (2 joueureuses)
Magie de Minuit (3 à 5 joueureuses)
Perdus sous la pluie (3 à 6 joueureuses, 1h environ)
Fiasco (3 à 5 joueureuses, 2h)