Danny le magicien

Elle m'a regardé une dernière fois. Juste une dernière fois avant que je crève.

Tout a commencé par une journée de merde. Ces journées où vous ne savez plus quoi faire, parce que vous savez qu'à chaque pas que vous faites, qu'à chaque gestes que vous entreprenez, vous allez subir le couroux de la malchance. Je suis sûr que vous savez de quoi je parle. Tout le monde a connu ça au moins un jour de sa vie de mort-né. Le fait est que je n'ai jamais eu trop de chance dans ma putin de vie. J'en ai connu des vertes et des pas mûres, comme dirait l'autre. Mais il y'a toujours un cap à passer. A partir de là, on ne recule devant rien pour arriver à vivre. Il était bien dix heure du soir quand elle est venu me trouver. Elle a sonné que trois fois, mais j'ai eu l'impression qu'elle avait sonné dix mille fois dans ma saleté de tête. Un mal de crane comme vous pouvez pas savoir. Un verre de plus et je me retrouvai le cul par terre. Mais je connais mes limites, et le fait est que ce soir-là, j'étais bien sonné, mais j'avais pas perdu toute ma tête. J'ai bien vu qu'elle avait une sacrée balafre sur la tronche, la petite.

"Qu'est-ce qui t'arrive encore, chéri? lui lançai-je la bouche pâteuse.

 - Ils... Ils sont toujours là, Danny, m'annonça Malicia d'une voix timide. Ils en n'ont pas encore fini."

Ils n'en auraient donc jamais assez, ces enculés. J'avais juré que je leur ferai la peau s'ils mettaient encore les pieds dans le bar. Apparemment, ils ne connaissaient pas la parole d'un vieux beau gosse comme moi. Avec les filles, faut savoir mentir, mais avec les mecs, je tenais toujours ma parole. Ces fils de pute allaient payer.

J'attrapai mon beretta et vérifiai que mes chargeurs étaient toujours dans ma vieille veste. J'avais rien de mieux à me mettre sous la dent, mais ça suffirai pour m'occuper d'un connard dans son genre. J'avais jamais senti ce type. Toujours fourré dans des affaires pas claires. C'est seulement quand il s'est fourré dans MES affaires pas claires que ça a mal tourné pour lui. J'esperai qu'il s'en mordait les doigts.

J'avalai un morceau avec un doigt de vodka tout en proposant à Malicia de prendre quelquechose. Elle prit un café bien serré, tandis que je la bouffais des yeux. J'avais repris tout mes esprits à présent. Et même si cinquante camions semblaient faire une course effrenée dans ma tête, j'arrivai encore à tenir une discussion banale. Une de celles qu'on tient encore pour se persuader qu'on a toujours une vie normale. Une de celles où la météorologie tient le monopole. Mais, j'en avais rien à foutre qu'il pleuve des cordes, du blé ou encore des joints tout bien roulés. Tout ce que je voulais, c'était faire semblant d'être marié avec une gonzesse, juste pour quelques minutes. Ensuite, tout redeviendrai comme avant. La clope au bec et le flingue à la main. Le sang qui coule sur le troitoir et le mendiant qui croit rêver. J'aime pas buter les mendiants. Ils ont rien fait ces cons là. Juste au mauvais endroit au mauvais moment. Mais comme disait ma mère : "Tout le monde meurt un jour."

Je savais bien qu'elle allait pas pleurer. Mais ça me faisait mal. A tel point que ça me donnait envie de la baffer. Qu'est-ce qu'un homme qui ne pleure plus? Je lui ai tendu une trousse de pharmacie qui datait bien de la cinquième guerre. Je l'ai fait monté dans la bagnole, lui disant qu'elle se referrai une beauté plus tard. J'avais presque honte de la trouver plus belle avec du sang sur ses bouclettes. Je mis la clef sur le contact. Elle monta à bord, s'asseyant à mes côtés. Je regardai le compteur. Presque plus d'essence. Assez je le pensais pour arriver jusque là-bas. Je démarrai la Helmerson et j'eus juste le temps de voir le gars dans le retroviseur. Un vrai gentleman de mes fesses, ce McNiller. Il a tiré, mais a du confondre mon reflet avec la réalité. J'étais bien plus beau en vrai. La vitre du rétroviseur éclata, je me retournai et vis McNiller courir après mon bolide. Mais aucune chance de rattraper un engin qui passe du 0 au 100 en quelques secondes. Malicia avait prit peur. Je l'avais cru plus forte.

" - Du calme bébé, tout va bien, la rassurai-je en prenant une voix plus doucereuse que d'ordinaire"

Elle avait déjà sorti son miroir pour soigner sa mauvaise plaie. Sa main tremblait.

"Si McNiller est dans le coup, repris-je d'une voix plus rauque -- à vrai dire MA voix rauque --, c'est que ça devient du sérieux leur histoire. La dernière fois qu'ils ont lachés le petit, c'était pour l'affaire du NewYork Tribune. Qu'est-ce qu'ils t'ont dit?

 - Pas grand chose, me répondit-elle concentrée sur le traitement de sa blessure. Des affaires sales, comme d'hab'. J'ai cru entendre parler d'argent. Une grosse somme apparemment."

Son visage se contracta. Elle venait de passer je ne sais quel produit sur sa plaie encore sanguinolante. Elle finit par lancer, avant de soupirer tristement :

" - L'argent dirige ce monde, hein?

 -  Si seulement c'était aussi simple."

Nous étions arrivé. Le Noisy était un vieux bar miteux aux confins de la ville, seulement fréquenté par des truands et des fouteurs de merde. Je sorti de la voiture et claquait la porte. Malicia me suivit jusqu'à l'entrée. Un gros loubard me toisa du regard. Comme tout le monde, il était étonné de voir un type si bien sappé. J'aimai porter le costard-cravatte. Quitte à faire le mort, autant en porter l'habit, me disais-je. Mais je n'oubliais jamais mon haut-de-forme.

Le portier avait une bonne tête. Il me reconnut et j'entrai avec la petite. Un groupe punk était en train de se fatiguer sur la petite scène, tandis qu'à travers la pièce enfumée on apercevait des saoulards accoudés au bar, des malins jouant du billard devant des minettes et deux gamins jouant au flipper tout près de l'entrée. Ca aurait pu sentir cruellement mauvais si l'odeur de cigarette n'avait pas englobé le tout dans un ensemble nauséabond et pourtant supportable. On subit les regards de plusieurs mecs. Il était sûr qu'une nana comme Malicia et un mec en habit du dimanche, ça ne pouvait pas passer inaperçu.

Et en effet, il ne fallu pas énormément de temps à Valero et ses accolytes pour nous repérer. Juste le temps de commander deux whiskys, à vrai dire. Malicia était inquiète, et il y'avait de quoi. J'avais sous-estimé les moyens que Valero pourraient déployer pour une affaire comme celle-ci. Mais j'étais heureux de lui coûter cher à ce fils de pute. Et il n'avait encore rien vu.

Je dégainai mon beretta. Comme je m'y attendais, tous les gars de Valero sortirent leur arme. Mais j'avais déjà tiré, et quand ils se mirent tous à tirer dans la même direction, j'étais déjà derrière le comptoir. Malicia me rejoignit, paniquée.

"T'inquiètes pas, poupée, lui lançai-je en repérant la carabine disposée sous le comptoir, papa Dan va tout arranger"

Je pris la carabine et me levai. Je tirai sur tout ce qui bougeait, supposant que seuls les mercenaires de Valero étaient dans mon champ de tir. A vue d'oeil, il me semblait en avoir buté cinq ou six. Je tendis le beretta à Malicia. Après tout, elle avait été mercenaire elle aussi, elle savait se débrouiller. Même si elle avait presque réussi à redevenir une femme normale... C'est comme si Dieu voulait qu'on ne meurt jamais, comme si nous étions ses éternels dans ce monde de morts-vivants. Je vit réapparaître sa flamme de tueuse dans son oeil droit quand elle prit mon flingue. Elle tira et je l'entendit crier comme jamais je n'avais entendu une femme crier, même dans mes rêves érotiques les plus tordus.

" - J'en ai eu deux je crois, me cria-t-elle,"

Et je me relevai pour en tuer deux autres. Il ne devait plus y'en avoir beaucoup. C'est ce que je pensais, en tout cas. J'étais trop préoccupé par la santé de la petite que j'en avais oublié mes propres fesses. Le fusil d'un flingue était posé sur ma tempe. Un geste de plus et j'étais mort. Mais j'étais loin d'avoir perdu mes reflexes. Je dégageai l'arme et lui foutait mon poing dans la tronche, à ce McNiller de mes couilles. Il dû bien sentir le coup, parce que je l'ai plus entendu pendant que Malicia me criai qu'elle avait eu encore trois types. Et en effet, McNiller était étendu dans de la bierre blonde, sa belle face souillé par des bouts de verre. Je récuperai son arme, un M686 de chez Smith & Wesson. J'entendai encore des coups de feu mais je ne savais pas si c'était Malicia qui tirait comme une folle ou si il y'avait encore des gars de Valero qui demandaient encore des plombs. Je me levai à nouveau, la carabine dans une main et le M686 dans l'autre. La petite venait d'en dégommer un, tandis que je flinguais les trois restants. Je reservai une dernière balle pour ce sac à merde de McNiller. En plein dans les couilles comme pour lui dire qu'on casse pas les noix à Dan le magicien.

"C'est bon, dit-elle épuisée en posant mon beretta sur le comptoir complètement démoli, on en a enfin fini avec ces conneries.

 - J'crois pas, non, répondis-je en lachant la carabine. On a foutu un sacré bordel. C'est une chance que j'ai pas eu envie de finir McNiller, sinon on serai vraiment dans la merde."

A ce moment, j'ai su qu'on était foutu. McNiller se releva et sortit de je ne sais où un putin de M21 qui me défouraillai le bras. J'avais parfois des reflexes cons, mais il fallait pas m'emmerder. Je récuperai le beretta et lui tirai le reste du chargeur en visant le coeur. Cet enfoiré m'avait pas raté. Mais c'était pas ce qui m'inquiétais à ce moment. J'avais fait la connerie à ne pas faire. Tuer McNiller, c'était comme tuer le fils de Dieu. Quelle journée de merde!