Le système de résolution, ce n'est rien.

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Derrière ce titre provocateur se cache une révélation qui m’est apparue au fil de mes pérégrinations rôlistiques et dont je ne prends la réelle mesure qu’à présent. Le système de résolution d’un jeu de rôle ne représente en fait qu’une partie pas si importante dans une partie de jeu de rôle. Explications.

Probablement parce que les premiers jeux de rôle à être déclarés comme tels se sont focalisés sur la résolution de tâches, et tout particulièrement à l’aide de dés, le système de résolution est devenu central au même titre que l’univers ou la création de personnage. Et pourtant, l’histoire du jeu de rôle est parsemé d’expériences qui se passent tout ou en partie d’un système de résolution. Nos jeux d’enfants n’ont souvent pas d’autres systèmes de résolution que celui de se mettre d’accord sur ce qui se passe. Celleux qui ont pu faire l’expérience du jeu de rôle sans en connaître au préalable son existence formelle ont pu raconter à loisir ce qui se passait dans la fiction. Les praticiens du jeu de rôle dit “sans règles” ont aussi prit le parti de se passer de ce genre d’artifices pour se concentrer sur des scénarios et un déroulé logique en fonctions des événements. Avec l’émergence des scènes alternatives actuelles, de nombreux jeux font également l’impasse sur un système de résolution. C’est le cas notamment des jeux dits “freeform”.

Le système de résolution peut-il disparaître ?

Tout comme les jeux dits “sans MJ” sont finalement des jeux où l’autorité narrative se retrouve diluée (certaine-s préférent dire “tous MJ”), le système de résolution est peut être toujours présent, mais sous une autre forme à laquelle on pense habituellement. La forme classique de la résolution pourrait être décrite comme telle : face à un obstacle ou une issue incertaine, on utilise un ensemble de mécaniques formelles qui permettent de savoir ce qui se passe ensuite pour cet enjeu. Dans cette acception, le système de résolution apparaît comme un sous-système dans lequel on fait appel à un ensembe de règles spécifiques pour gérer ce genre de situation incertaine.

Ainsi, dans un jeu se passant de système de résolution, il subsiste toutefois des mécaniques pour décider de ce qui se passe ensuite. Ces règles sont seulement fondues dans l’ensemble du système (au sens large). Ce qui transparaît alors, ce sont les façons de gérer la narration : comment décide-t-on de ce qui se passe après ?

Qu’est-ce qui est plus important que le système de résolution ?

La proposition de jeu

Ce qui semble bien plus constitutif d’une partie de jeu de rôle, c’est d’abord la proposition de jeu. J’ai découvert cela durant la conception d’Happy Together. Mon ambition avec ce jeu était de créer un jeu centré autour du temps présent, dans lesquels les personnages profitent d’un moment agréable, sans qu’il n’y ait de problèmes graves à résoudre. Cela m’a amené à réfléchir à comment créer un jeu de rôle sans adversité, et donc sans système de résolution. J’ai découvert que le simple fait de dire aux joueurs et aux joueuses : “nous allons jouer des personnages qui profitent simplement d’un bon moment ensemble” était déjà suffisant pour créer les conditions d’une partie de jeu de rôle. La proposition de jeu est la première façon d’harmoniser les narrations des joueurs et joueuses. Elle fait parti du contrat social : nous nous mettons d’accord pour jouer à cette proposition. Faites l’expérience vous-même : proposez une partie de jeu de rôle de 5min à quelqu’un. Plantez le décor, dites lui quel personnage il ou elle incarne, puis demandez-lui ce que son personnage fait. Ça y’est, vous faites du jeu de rôle. La proposition de jeu c’est la base.

La création de personnage

Créer un personnage, c’est une étape de plus dans la mise en place de la proposition du jeu. C’est une façon de choisir par quel prisme nous allons explorer la fiction, et en cela, c’est un élément central d’une partie de jeu de rôle. Si les personnages ont déjà été créés (ou si on s’incarne soi-même), alors la proposition appartient à celui ou celle qui l’a proposé. Mais libre à celle ou celui qui va incarner ce personnage de l’amener dans une direction qui lui importe.

Les personnages sont les vecteurs de l’histoire. Ils déterminent les capacités et les objectifs qui seront les moteurs des décisions des joueuses et des joueurs (MJ compris s’il y en a un). Ils peuvent également apporter des problématiques à explorer, des relations à entretenir, des voyages à entreprendre.

La dynamique de la narration

Enfin, la brique centrale d’un jeu de rôle selon moi après la proposition de jeu, c’est la façon dont on décide comment la suite de l’histoire se déroule. Cela demande de savoir qui possède les responsabilités narratives et sur quoi. Dans la pratique la plus courante, le MJ détient une bonne partie de ses responsabilités. Mais il existe de nombreux modèles, dans lesquels les responsabilités sont partagées entre les joueuses.

La dynamique de la narration est semblable au gameplay de base d’un jeu vidéo. Dans Super Mario Bros, le gameplay de base c’est le fait de pouvoir faire avancer et reculer Mario, le faire sauter, tuer des ennemis en leur sautant dessus, taper dans des blocs etc. Dans un jeu de rôle, le gameplay de base ce sont les mécaniques que l’on va utiliser tout le temps durant la partie pour savoir ce qui se passe après. Mon personnage est au bord d’une crevasse et a besoin de se rendre de l’autre côté pour récupérer son âme enfermée dans une bouteille. Qui ou quoi décide ce que fait mon personnage ? Qui ou quoi décide ce qui se passe si j’essaie de sauter par dessus la crevasse ? Qui ou quoi décide de ce qui se passe si je récupère et ouvre la bouteille contenant l’âme de mon personnage ? Ce genre de questions est soit répondu dans un ensemble de règles écrites, ou bien décidé par les joueurs et joueuses en fonction de leur habitudes de jeu et l’harmonisation qui s’est développé au fur et à mesure du temps (= on s’est mis d’accord tacitement ou explicitement que c’est la façon dont on a de jouer).

Faut-il jeter les systèmes de résolution ?

Certes non. Il existe de nombreux systèmes de résolution qui permettent de créer du sens aux décisions des joueurs et joueuses qui comptent pour la proposition du jeu. Les meilleurs systèmes de résolution s’inscrivent pleinement dans la logique de la proposition du jeu et de la dynamique de la narration. Mon propos est ici de faire redescendre le système de résolution de son piédestal : ce n’est qu’un outil parmi tant d’autres, qui peut être très utile si cela se prête à la proposition du jeu, mais qui peut aussi être absent pour laisser de la place à d’autres outils plus pertinents.

Pourquoi c’est important ?

Pourquoi cet état de fait me semble important ? Parce qu’en arrêtant de se focaliser sur le système de résolution, on peut travailler à repenser nos façons de jouer, en prenant conscience et en expérimentant avec ces briques fondamentales pour améliorer ou créer de nouvelles pratiques de jeu, qu’elles soient décidées ensemble ou bien formalisées dans des règles écrites.

C’est aussi une façon de voir que le jeu de rôle ce n’est pas si difficile, dans sa forme la plus primaire. On peut partir d’un simple “Et si ?” et se lancer dans une partie sans avoir besoin d’ingurgiter des centaines de pages d’univers, de règles ou de théorie. Jouer au jeu de rôle, c’est aussi simple que de se dire : “Et si on jouait ça ? Avec quel personnage ? Et comment on décide de ce qui se passe après ?”.

Et après ? On joue.