Pratiquer le jeu de rôle en solitaire comporte de nombreux intérêts, mais le fait de se retrouver seul à jouer pose de nouvelles contraintes. Maintenir sa concentration, créer de la surprise, trouver l’inspiration... peut être plus difficile quand nous n’avons pas d’autres cerveaux qui travaillent de concert. Les praticien-e-s et les concepteur-ice-s de jeu de rôle solitaire ont dû donc trouver des outils adaptés pour gérer ces contraintes. La plupart de ces outils existent déjà dans la pratique à plusieurs, mais se révèlent particulièrement efficaces pour jouer en solo.
Questions fermées
Exemples : Mythic Game Master Emulator, Ironsworn, Muses & Oracles, The Calypso Compendium
“On peut considérer Mythic comme une intelligence artificielle. Il est conçu pour utiliser des règles de logique simples pour répondre à toute question dont on peut répondre par oui ou par non. Donc, que vous jouiez seul ou en tant que MJ non préparé, ou une table de joueurs et joueuses sans MJ, posez vos questions ... seulement, au lieu de les poser directement au MJ, vous les posez à Mythic.”
Mythic Game Master Emulator
Une des mécaniques que l’on retrouve dans beaucoup de jeux solitaires est une adaptation d’une mécanique de jeu de rôle à plusieurs, et en particulier dans ses formes les plus traditionnelles avec meneur-se de jeu (MJ). Il s’agit de simuler la présence d’un-e MJ qui répond traditionnellement aux questions des joueurs et joueuses à propos de l’environnement proche des PJ et de l’univers. “Y a-t-il une échelle qui me permettrait de descendre dans ce puit ?” “Est-ce qu’il y a un vendeur de chevaux dans cette ville ?” Pour simuler une réponse d’un.e MJ, on utilise l’aléatoire, que l’on peut souvent mitiger à loisir s’il on estime que c’est plus ou moins probable.
Mythic Game Master Emulator se présente, comme son nom l’indique en anglais, comme un simulateur de MJ, dont la mécanique première, le Fate Chart, est de poser une question qui peut être répondue par oui ou non, puis de lancer 1D100 (un dé à 100 faces) et de se reporter à un tableau pour obtenir la réponse. Avant de lancer le dé, on estime la probabilité, en choisissant dans des nuances qui vont de Forcément, en passant par 50/50 jusqu’à Impossible.
Muses & Oracles quant à lui reprend une mécanique similaire, mais cette fois-ci adapté du système Fate. Ici les réponses en oui/non sont teintées de “mais” et de “et” qui apportent de la nuance. En pratique, on tire une carte qui présente une des possibilités : “Oui” ; “Oui, et…” ; “Oui, mais…” ; “Non, et…” etc. Si l’on a un avantage ou si l’on veut augmenter la probabilité, on peut tirer plusieurs cartes pour augmenter les chances d’aller vers un “Oui”.
Tables aléatoires
Exemples : Mythic Game Master Emulator, Ironsworn, Muses & Oracles, Bois-Saule, Le Temple des Vents, 5-min-e
Toutes les questions ne peuvent être répondues par oui ou par non. C’est là qu’interviennent les tables aléatoires. Il s’agit de listes ou de tableaux, dont chaque élément est accompagné d’un nombre, qui permet d’être tiré au hasard, généralement en tirant un ou plusieurs dés.
Si la mécanique de oui/non est compatible potentiellement avec tous les jeux de rôle, les tables aléatoires sont souvent spécifiques à un jeu, ou bien à minima à un type d’univers ou de fiction. Il existe cependant certaines tables qui proposent des éléments suffisamment neutres pour être adaptables, mais le contenu oriente tout de même les possibilités de jeu.
Dans Mythic Game Master Emulator, on retrouve des tables aléatoires pour générer des évènements, en jetant plusieurs fois les dés pour déterminer le focus, l’action et le sujet de la scène.
Muses & Oracles est construit autour de nombreuses cartes que l’on tire aléatoirement, comportant de nombreux éléments inspirants, comme autant de tables aléatoires disséminées au fil des tirages.
Dans Ironsworn, l’Oracle est constitué de nombreuses tables aléatoires qui sont un ajout conséquent à l’univers, les Terres de Fer, dépeint dans le livre du jeu.
Dans Bois-Saule, on jette un ou deux D6 pour tirer des éléments dans de nombreuses tables aléatoires.
A noter que beaucoup de jeux comportant des tables aléatoires insistent sur le fait qu’il y a un travail d’interprétation à faire pour éviter de se retrouver avec un cadavre-exquis sans véritable cohérence. Je rajouterai que la réincorporation d’éléments déjà posés dans la partie permet d’éviter cet écueil. Par ailleurs, il est possible de retirer un résultat pour obtenir un élément plus approprié ou plus inspirant. Par exemple Ironsworn propose d’inverser l’ordre des chiffres ou de prendre un élément adjacent si l’élément tiré ne nous convient pas.
Questions ouvertes
Exemples : Après l’accident, Oriente, 9 Questions, La Bête
Plusieurs jeux solitaires adoptent un fonctionnement tournant autour de questions posées, souvent sous forme de cartes. Les réponses que l’on apporte en tant que joueuse construisent une fiction au fur et à mesure. Ces questions sont souvent ouvertes et orientées, pour permettre des réponses variées et qui peuvent s’adapter aisément afin d’établir une cohérence avec les précédentes réponses.
Après l’Accident nous propose d’incarner un personnage qui vient d’avoir un accident, en répondant à une série de questions inscrites sur des cartes tirées aléatoirement. Chaque question et sa réponse correspond à une journée dans la fiction, que l’on reporte à l’écrit dans un journal qui retrace ainsi les événements de la partie. Exemples de questions : “Vous avez établi un campement. Pourquoi avoir choisi cet endroit ?” ; “Qu’est-ce qui a subitement changé dans l’environnement aujourd’hui ?” ; “Vous n’êtes pas seul ici. Qu’avez-vous aperçu ? Pourquoi être resté caché ?”
Oriente est également un jeu sous forme de cartes. Les premières cartes indiquent les règles du jeu (les Instructions) puis on répond aux questions une par une, inscrites sur des cartes que l’on tire aléatoirement, jusqu’à une question finale qui clôt la partie. Exemples de questions : “Oriente vous a proposé d'envoyer une personne naïve chasser un gibier imaginaire. Avez-vous accepté ?” ; “Que s'est-il passé quand Oriente vous a proposé un raccourci par les forêts limbiques, domaine des morts, des souvenirs et des rêves ?”
Arborescences
Exemples : la série des “Livres dont vous êtes le héros”, Donjons & Dragons boîte Mentzer (Basic Set), boîte d’initiation de Pathfinder (1ère édition), boîte d’initiation de Héros & Dragon
Cette famille de jeux de rôle solitaires se construit autour de segments écrits qui amènent à différents choix, ces choix amenant à d’autres segments. Cela constitue ainsi une arborescence dans laquelle les joueuses ont une influence à certains points précis sur le cours d'événements prédéfinis.
La série la plus connue est sans nul doute celle des Livres dont vous êtes le héros (publié en France chez Gallimard Jeunesse) , qui a popularisé ce type de jeux. Le terme plus général consacré est celui de livres-jeux.
Sans doute sous l’influence des Livres dont vous êtes le héros, qui sont connus notamment pour avoir mis le pied à l’étrier du jeu de rôle à de nombreux rôlistes, on retrouve aussi cette construction en arborescence dans la boîte d’initiation de Héros & Dragon. Cette introduction en solitaire permet au rôliste en herbe de se familiariser avec les mécaniques principales du jeu.
Quêtes
Exemples : Ironsworn, Bois-Saule, Muses & Oracles (intrigues)
Ce peut être particulièrement difficile de garder un cap quand on joue en solitaire. Ainsi, certains jeux proposent un horizon à atteindre, parfois avec des jalons sur le chemin.
C’est le cas d’Ironsworn, qui est centré autour des “voeux de fer”. Le personnage que l’on incarne jure sur le fer d’accomplir une action particulière. Mécaniquement, cette quête est notée sur la fiche de personnage et différentes manoeuvres (inspirées des jeux propulsés par l’Apocalypse) la font avancer et permettent de la conclure.
Dans Muses & Oracles, la partie qui concerne le jeu en solitaire propose de noter et de suivre les différentes intrigues (principales et secondaires) jouées durant la partie. Cette mécanique complète d’ailleurs bien la Motivation que l’on choisi au moment de la création de personnage.
Journal
Exemple : G, La Bête, Après l’accident, Bois-Saule, Quill, Le voyageur immobile du palais de marbre, Le Temple des Vents
Jouer dans sa tête n’est pas un exercice facile. C’est certainement pour cette raison que beaucoup de jeux solitaires proposent de tenir un journal ou une correspondance écrite, audio ou vidéo.
C’est un élément central dans le jeu G, dans lequel on incarne un astronaute solitaire à bord de son vaisseau. Le jeu se joue en 52 tours, représentant chacun une semaine d’une année. Chaque tour possède plusieurs phases, notamment une dans laquelle on tire aléatoirement une carte qui crée des rebondissements dans l’histoire de notre astronaute. Mais la phase qui nous intéresse ici est “Créer quelque chose”. Cette phase propose de créer une entrée d’un journal écrit, audio, vidéo ou même un journal des rêves (retranscrivant les rêves que l’astronaute a eu durant la semaine) à chaque tour.
Quill est quant à lui un jeu épistolaire. L’écrit prend donc évidemment une part centrale. Il s’agit d’écrire des lettres en plaçant certains mots imposés qui permettent de remporter des points. Plus vous accumulez de points et plus votre lettre aura un impact positif.
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Par simplicité, j’ai puisé mes exemples dans des jeux publiés, mais les outils que je recense dans cet article se retrouvent fréquemment dans les témoignages que j’ai pu lire, dans lesquels les joueurs et joueuses vont puiser dans différents outils et jeux pour construire leurs parties. Certains jeux publiés invitent même à utiliser d’autres outils externes, en particulier tout ce qui touche à la génération aléatoire. On peut donc soit utiliser les règles d’un seul jeu publié, ou bien constituer son set d’outils pour personnaliser sa partie. Il est par exemple courant d’utiliser un jeu de rôle prévu pour être joué à plusieurs, et ajouter un ou plusieurs outils pour l’adapter à sa pratique en solitaire.
Cette liste d’outils n’est pas exhaustive et il reste certainement encore beaucoup d’outils à découvrir qui pourraient enrichir la pratique du jeu en solitaire. J’espère que ce tour d’horizon vous sera utile pour réfléchir, concevoir et jouer.
Listes et liens vers les jeux cités :
Si la pratique du jeu de rôle en solitaire vous intéresse et que vous ne savez pas par où commencer, voici quelques pistes pour débuter :
Les jeux de rôle solo, un article du blog C'est pas du jdr (si!) - https://www.cestpasdujdr.fr/les-jeux-de-role-solo/
Le Petit Guide du Jeu de Rôle Solo, un livre de Saladdin - http://www.onirarts.com/solo/
Introduction au jeu de rôle en solitaire, table ronde en vidéo de la CyberConv 1.0 : https://www.youtube.com/watch?v=7oRKGWQCWW4
JdR Solitaire, un serveur discord francophone consacré au jeu de rôle solo - https://discord.gg/pp7Hf7a
Cet article fait partie d’un corpus d’articles théoriques et pratiques dédiés au jeu de rôle solitaire. La plupart peuvent être lus indépendamment, mais ma démarche et certaines notions développées seront mieux comprises si vous prenez connaissance de l’ensemble. Les autres articles parus à ce jour :
Une théorie du jeu de rôle solitaire - Introduction