Comment j’ai créé mon jeu de rôle ? Happy Together (partie 1)

Concevoir le jeu

L’idée d’Happy Together est née de mon premier jeu de rôle publié, Happy, qui est un jeu de méditation solitaire qui porte déjà en lui la base d’Happy Together. Pour autant, l’adaptation pour plusieurs joueurs a fait évoluer le jeu dans une direction que je n’avais pas soupçonné. Si Happy se concentre uniquement sur le moment présent, Happy Together inclut des éléments qui mettent les personnages au sein d’une histoire personnelle qui se projette également dans le futur, par le biais des “Désirs” et des “Quêtes”.

Le challenge principal pour Happy Together était de parvenir à créer de l’histoire sans qu’il n’y ait de problème à résoudre. Pour se faire, je suis parti du jeu le plus contemplatif et collaboratif que je connaisse : Prosopopée, de Frédéric Sintes. C’est un jeu que je connais bien, pour y avoir joué de nombreuses fois. Parfois même avec son auteur, qui l’a d’ailleurs décortiqué de nombreuses fois aux travers de ses articles sur son blog (Limbic Systems). Mais Prosopopée nous propose de résoudre des “Problèmes”. Après avoir revu plusieurs de mes inspirations pour le jeu (notamment Lost in Translation de Sofia Coppola et Si tu tends l’oreille de Yoshifumi Kondo), j’ai eu une intuition. En fait, dans ces fictions, ce n’est pas qu’il n’y a pas de problème, c’est que les problèmes sont minimes ou rapidement résolus. Ce qui permet de se concentrer sur la contemplation et les relations humaines.

Dans la première mouture du jeu, il y avait des dés qui fonctionnait à la façon de Prosopopée. A la suite d’une partie test avec Frédéric Sintes, celui-ci m’a proposé de retirer les dés. Cette idée provient en particulier du jeu Les Petites Choses Oubliées de Sylvie Guillaume & Christoph Boeckle, dans lequel il n’y a pas de résolution de problème mais plutôt des mécaniques de négociation entre joueurs. Dans Happy Together, c’est encore plus simple : c’est le joueur qui choisit l’issue de son “Désir”. Parce que l’enjeu n’est pas de réussir, ce qui importe c’est de savoir ce qu’en retire le personnage. Ainsi le joueur peut choisir la façon dont son personnage retire quelque chose de positif.

A la suite d’une partie test sans les dés, la base du jeu était en place. La suite fut un aller-retour entre parties tests et ajustements des règles pour garantir une expérience de jeu stable d’une partie à l’autre.

0060-0063-2017-05-30_22-09-32.jpg

Une autre partie en interne a marqué un tournant dans le jeu. Dans cette partie, j’ai voulu tester d’implémenter des “Quêtes” pour les personnages des joueurs. C’est une idée qui me vient d’un ouvrage de développement personnel, Le Jeu du Tao, qui m’avait déjà inspiré pour Happy. Si le jeu était très centré sur le moment présent, il semblait manquer quelque chose, une certaine profondeur. Les parties étaient parfois un peu naïve, parce qu’elles occultaient la complexité de la vie quotidienne. Profiter du moment présent, oui. Mais quid de nos vocations, de nos aspirations pour le futur, qui guident nos pas? Ce simple ajout a apporté une nouvelle dimension aux parties et un ton doux-amer qui venait parfaitement nuancer l’apparente naïveté du jeu.

A ce stade, j’avais un texte avec une mise en page sommaire sur Open Office. L’étape suivante était de proposer des parties tests à des tables extérieures, c’est à dire où je ne suis pas présent pour expliquer les règles. Il s’agissait de revoir le texte pour le rendre lisible pour des lecteurs extérieurs, et proposer une mise en page un minimum agréable. Même si c’est une version de test, je pense que c’est important d’avoir quelque chose qui soit plaisant à lire, afin de garantir déjà le confort des testeurs et de montrer d’une certaine manière que c’est un projet sérieux.

C’est un effort qui semble avoir porté ses fruits puisque j’ai eu plusieurs personnes motivées qui m’ont fait des retours détaillés. J’en profite d’ailleurs pour les remercier, ils ont beaucoup apporté au jeu. Ces rapports de partie sont visibles sur Les Ateliers Imaginaires (le forum a fermé entre temps, mais il est toujours accessible à la lecture). Tous ces playtests m’ont permis d’ajuster les règles en fonction des diverses remarques et problèmes rencontrés.

J’ai refais quelques playtests de mon côté pour vérifier les derniers changements puis j’ai considéré mon jeu comme terminé.

Un aperçu de la feuille de personnage sur le logiciel Scribus.

Un aperçu de la feuille de personnage sur le logiciel Scribus.

Concevoir le livre

La première chose à faire a été de finaliser le texte, en prenant en compte cette fois-ci la pédagogie et l’ergonomie de lecture qui permettrait de rendre le jeu le plus accessible possible pour réaliser de belles parties. Je voulais un jeu court et rapide à prendre en main, donc l’idée était d’aller à l’essentiel, sans multiplier les variantes de règles et les conseils à outrance. Je voulais également qu’on puisse faire une partie en lisant le texte au fur et à mesure, en évitant au maximum de faire des renvois de page. Enfin, j’avais l’ambition qu’on puisse jouer ailleurs que chez soi, y compris en déplacement. J’ai donc choisi un petit format, semblable à un roman poche.

Pour Happy, j’avais fait appel à CreateSpace, la plateforme d’impression à la demande d’Amazon. Pour les raisons que j’ai expliqué dans mon rapport d’expérience de la publication de Happy, j’ai voulu changer pour cette fois. J’ai hésité entre deux options : Lulu, un autre site d’impression à la demande, et CopyMedia, un petit imprimeur avec lequel Morgane Reynier a travaillé pour ses propres jeux (Sur la Route de Chrysopée et plus récemment Into the Wood). J’aime beaucoup le livre de Sur la Route de Chrysopée et j’avais été séduit par la démarche de Morgane. Cependant, devoir avancer les fonds, stocker les livres et faire les envois à la Poste me semblait un travail bien trop chronophage. Avec mon travail, je n’avais déjà pas assez de temps pour développer mes jeux, donc je ne me voyais pas me rajouter une charge de travail logistique supplémentaire. Lulu me semblait une bonne alternative à CreateSpace, et me semblait fiable de part l’utilisation qui en ait faites par plusieurs auteurs de jeux comme Le Grümph, Thomas Munier, Julien Pouard, Frédéric Sintès, Fabien Hildwein (pour ne citer qu’eux). A l’origine, je voulais publier Happy Together dans le même format que Happy, à savoir un format paysage. Comme ce n’était pas proposé par Lulu, je me suis rabattu sur le format poche portrait. Comme il s’agit d’un format sans doute dédié à la production de romans, il n’y avait pas de possibilité d’intérieur couleur. C’est à ce moment que j’ai décidé de faire le choix d’un livre sans illustrations et avec une mise en page minimaliste (Je vous renvoie à cet article : Happy Together en format poche ?).

Pour réaliser la maquette, j’avais envie d’aller plus loin que OpenOffice que j’avais utilisé pour Happy. OpenOffice est avant tout un traitement de texte, donc les placements d’images ou d’éléments graphiques n’étaient vraiment pas aisés. N’ayant pas les moyens pour InDesign, j’ai choisis son alternative gratuite, à savoir Scribus. C’était l’occasion pour moi de me former sur ce logiciel en prévision de projets plus complexes à mettre en page. La prise en main n’était pas évidente, mais avec quelques tutoriaux et les conseils de Frédéric Sintès, j’ai pu gérer le minimum vital pour me lancer.

La première grande tâche était la réalisation de la couverture. J’envisageais de réaliser une photographie, mais cette tâche à priori simple que je maîtrise m’a pris un temps démesuré pour Happy, donc j’ai choisi la facilité en allant chercher des photos libres de droit, d’abord sur Flickr, puis sur Pexels et Unsplash. C’est sur ce dernier que j’ai trouvé la plupart des photos pour réaliser mes prototypes. J’ai réalisé pas moins de 16 couvertures différentes avant de choisir ce qui est actuellement celle du jeu publié ! Finalement, je suis content d’avoir fait ce travail fastidieux car je suis vraiment satisfait du résultat.

Les nombreux (!) prototypes de la couverture du jeu.

Les nombreux (!) prototypes de la couverture du jeu.

La deuxième grande tâche a été de choisir les polices d’écriture. Je ne me souviens plus où je les ai finalement trouvées, mais je me souviens avoir cherché longuement sur google en tapant des mots-clefs en anglais comme “free font design”. L’idée étant d’éviter les classiques Dafont our 1001freefont. Je peux ainsi aujourd’hui vous recommander les sites suivants pour trouver des polices originales : Google Font, Fontsquirrel, Creative Market. Vous pouvez en trouver de bonne qualité en cherchant des articles de blog répertoriant des polices alternatives aux classiques ou les articles estampillées pour les graphistes. Attention, elles ne sont pas toujours gratuites ou leur utilisation est limitée à certaines applications. Lisez bien les conditions. Cela dit, si vous trouvez vraiment la perle rare, parfois ça peut valoir le coup de dépenser quelques euros.

J’ai réalisé les éléments graphiques de la mise en page à l’aide de Photoshop, qui est un logiciel que je possède et que je maîtrise grâce à ma pratique de la photographie, mais aussi grâce mes quelques expériences amateures de réalisation de logo et autres chartes graphiques pour mes propres sites web. Ça a été également assez long de trouver le ton juste pour obtenir la mise en page minimaliste et élégante que je recherchais. De façon assez paradoxale, je cherchais à obtenir une ambiance chaleureuse, alors que je travaillais en noir et blanc, ce qui a compliqué mes recherches. Finalement, j’ai trouvé un compromis en utilisant une partie de la photographie de la couverture pour les en-têtes de chapitre.

Le plus pénible a finalement été de parvenir à exporter un PDF viable pour l’impression chez Lulu. Mon premier essai d’impression m’est arrivé avec des pans entiers de texte absents, ou bien seulement avec les accents, donnant à mon jeu un vague air de La Horde du Contrevent. Il m’a fallu un petit moment pour comprendre que certaines polices n’étaient pas compatibles, bien qu’elles apparaissaient pourtant bien à l’export, y compris dans le BAT numérique (Bon à tirer) de Lulu. Si je me souviens bien, ce sont certaines polices en .otf qui ne passaient pas à l’impression. Il a donc fallu que je change les polices. Heureusement, j’en ai trouvé parmi celles que j’avais pioché durant mes recherches qui étaient proches. Après plusieurs exemplaires tests reçus par Lulu et la création d'une version PDF, le jeu était fin prêt pour une sortie officielle !

Dans la seconde partie, je vous détaillerai comment j'ai promu le jeu, je vous détaillerai mes résultats chiffrés et je finirai sur une petite conclusion générale.